« Le massif des Ecrins porte les stigmates de la société hyper industrielle dans toute la force de sa lenteur irréversible. Dans les années 80, alors même que ne fait que se densifier l’exploitation intensive de ce milieu, dans ces grandes temporalités estivales et hivernales, les glaciers alpins débutent leur discrète agonie. Depuis quelques temps, aux chuchotements modérés de ses douloureuses transformations, se succèdent les fracas sonores du monde géologique et les silences du monde animal : chute des blocs de glace, effondrements des masses rocheuses du à la dégradation du permafrost, béances de nouvelles crevasses, vidange des lacs ou des poches d’eau jusqu’à présent retenus par des moraines, mais aussi silence des amphibiens, des criquets de torrents, des lièvres variables. Dans Penser comme un iceberg, Olivier Remaud explique à quel point le langage est une manière de vivre le monde et d’entrer en relation avec lui : ainsi, le « velage » est une expression consacrée chez les Esquimaux groenlandais pour décrire le décrochement d’un morceau de glace et la naissance d’un iceberg (faisant référence notamment au vêlage d’un baleineau). De fait, il invite dans son ouvrage, à l’instar des peuples autochtones à penser l’iceberg comme « un être vivant, une matière chaude et non froide ». On parle de vêlage sec pour les glaciers en montagne tout comme et lorsqu’il s’agit de décrire les évolutions géologiques des glaciers, est évoqué le corps malade : cicatrice, plaies, béances, langues glaciaires, engrisement des montagnes, glaciers à vif….On dénombre la mort de la moitié des glaciers dans le Massif des Ecrins : on sait désormais qu’au mieux, un ou deux survivront si la montée en température se stabilise. Le Glacier Blanc pourrait en faire partie. De cette analogie entre les corps de la montagne et les corps qui composent l’ensemble du vivant, j’aimerais faire surgir, dans le Massif des Ecrins, un mémorial pour les glaciers.Pendant la semaine passée au refuge de Vallonpierre, je vais travailler sur les noms des glaciers, leurs agonies, leurs cris et leurs futurs silences. Les matériaux glanés, à la fois sonores, textuels et géologiques nés des expérimentations de mon corps de randonneuse et de performeuse, mais aussi de celleux qui viennent s’immerger dans la montagne, tout comme de celleux qui y travaillent et y vivent seront mon socle. Il s’agira alors de donner naissance à un objet-sculpture, jouant autant de l’intime que de l’extime, et associant espace, mémoire, récits et corps.Nous savons que nous sommes, tristement, la dernière génération à pouvoir regarder vivre un glacier. Pour découvrir cet objet-espace mémoriel, que l’on pourra lire comme un cairn du capitalocène, j’envisage dès lors, un protocole qui sera laissé au refuge : une randonnée comme un rite. »
Lieulien
Edition, vidéo
“ Lieulien est autant fiction que geste et lumière. Une oeuvre qui se décline en plusieurs formats et qui raconte comment une couleur - le bleu d’un glacier alpin - meurt et survit dans les mots et par les gestes.”
Mes chair.es
Lecture performée 15’« Et je sus, un matin, alors que je venais de gravir un col pour découvrir un panorama dont on me vantait la splendeur minérale, je sus que le glacier face auquel je me trouvais venait de trouver refuge en moi. Je restais un certain temps à tenter de comprendre ce que ces mots signifiaient et ce que mon corps hébergeur allait devenir, accueillant dans ma chair, ce glacier mourant, engrisé de tous nos tournoiements industriels dont je pouvais lire les cicatrices comme les plaies à vif.» (extrait de la lettre «Mes chair.es»)
Tous droits réservés © Emmanuelle Becquemin et l'envers des pentes 2023